Empruntant à Bruce Bégout le titre de son ouvrage sur Las
Vegas,Zéropolis, l'expérience de Las Vegas ( 2002), Patrice Mortier allie à ses préoccupations plastiques une considération sur l'idée de la grande ville.
Patrice Mortier peint des tableaux à partir de projections d'images captées sur le net. Il passe pour être l'un des précurseurs de la peinture à partir d'images numériques. Dans cette exposition
sont aussi présentées des installations en briques de maçonnerie ou conçues avec d'autres matériaux.
Contrairement, à ses précédents travaux, notamment ceux de 2004, Patrice Mortier sort du registre de la vidéo, ou, en tout cas, semble moins s'appuyer sur elle. La temporalité
affichée de la vidéo est dépassée au profit d'une temporalité suggérée. En effet, Patrice Mortier se passe du truchement des paramètres techniques de la vidéo (l'heure, la date, la provenance
internet par exemple, qu'il affichait sur ses travaux précédents) puisque la peinture lui permet de traduire la tension du temps qui passe.
Ainsi, l'intensité de la vie dans la ville s'exprime davantage sur la surface plane et lisse du tableau, justement grâce à cette tension picturale.
Les lignes de Centre Commercial (2009) rappellent celles de Mondrian. Dans ce tableau, la vue en plongée d'un centre commercial avec ses rues et ses parkings
crée autant de lignes et de surfaces pleines et peintes. Il s'agit d'une composition picturale à part entière. Beaucoup d'artistes ont utilisé l'orthogonalité des villes, leurs réseaux plus ou
moins organiques ou géométriques, leur enchevêtrement aussi. Patrice Mortier se situe dans leur lignée.
La préoccupation de l'artiste ne semble pas seulement être de nature plastique. Tous ces matériaux bruts, assemblés sous une forme autonome ou agencés en vue de servir de
support à une composition picturale, évoquent particulièrement les préoccupations des artistes du début du XXe siècle.
Le développement de la mécanique, des industries, de la construction massive avait généré tant d'inquiétudes et tant d'espoirs que les artistes s'étaient nécessairement emparés
du sujet.
C'était l'avènement du monde moderne. Les musiciens, Stravinsky, les chorégraphes, Diaghilev, les poètes, Cendrars, les peintres, et notamment Léger ont intégré toutes les identités de la ville
en développement dans leurs compositions musicales ou picturales, dans leurs proses ou dans leurs chorégraphies.
Aujourd'hui chez Patrice Mortier, on retrouve cette poésie liée à la modernité, à la monumentalité des grandes villes, à leur densité et au rythme soutenu de vie qu'elles
supposent, Tokyo, Las Vegas, Dubaï en sont autant d'exemples. Patrice Mortier est bien un artiste dans son temps.
Mais le lien ne s'arrête pas là. La tension des bouleversements de la cité conduisent Patrice Mortier à sortir du tableau pour se diriger vers la sculpture, et vers les
préoccupations de la société, notamment au moyen de l'installation constituée à partir de bouteilles d'eau ou de briques tétra-pack, disposées sur un socle, le tout peint en blanc. L'œuvre évoque
une cité du type de celles qui fleurissent sur les côtes de la Méditerranée.
Ces éléments bruts de construction ou ces objets triviaux de consommation, font des œuvres une ode à la ville et à sa beauté, mais épicées d'un léger cynisme.
Mais point de pessimisme, ni d'alarmisme. Il s'agit avant tout d'expériences plastiques sur nos civilisations urbaines.
Sandrine Peyre
Parisart, février 2010