Ces images sont issues de photographies prises au quotidien par l’artiste dans son entourage social ou géographique. Elles restituent, comme pour chacun de nous à travers ce geste devenu si simple que l’on en oublie la portée, des moments vécus par leur auteur. Peintre avant tout, Mortier nous les donne à voir sous forme de petits tableaux dont la matière picturale y joue un rôle primordial de transition entre digital et réalité. L’oeuvre est bien physique et se donne à voir dans son entièreté dans un ensemble qui donne le vertige. Tant d’images, tant de tableaux.
Mortier a été un des précurseurs de l’utilisation de l’image capturée sur les réseaux internet, dès 1996, lorsque la plupart d’entre nous ne comprenaient pas encore, ni la façon dont cela fonctionnait, ni l’utilité d’un tel outil. Mortier avait pressenti le flux d’images et d’informations qui déferlerait sur nous 20 ans plus tard.
Ses photos furent d’abord prises en voiture dans un espace clos pénétrant dans un espace en mouvement. Les autoroutes, dans une gamme chromatique réduite au blanc et noir.
Puis vinrent les premières captures d’écran, celles des webcams de télésurveillance urbaine. Plus de déplacement physique : le déplacement virtuel prenait le relais. Lorsqu’en 2003, il figeait une prise de vue de la webcam de surveillance urbaine de Time square, à la seconde près, en prenant soin de bien laisser sur l’oeuvre les informations écrites de l’écran (Lieu, date, heure, minute et seconde) dans une technique classique d’une peinture à l’huile sur toile, à la palette réduite au quasi- monochrome, s’ouvraient à lui toutes les séries futures qui allaient jalonner son travail. Passant de l’extérieur aux intérieurs des adeptes de la webcam en direct-live sur la toile mondiale, l’humain entrait alors dans l’œil de l’artiste, pour y rester et prendre une place de plus en plus importante, comme en témoignent les œuvres réalisées d’après les captures d’écran au plus près de l’actualité brulante qui nous est donnée à voir chaque jour sur le net, jusqu’aux séries réalisées en milieu carcéral, plus récemment.
Les images se déversent à chaque seconde qui passe sur nous sans interruption par le biais de nos ordinateurs et par notre propre action. Mortier tente depuis toujours d’en faire paradoxalement un instantané, qui ne soit pas un instant damné.
Olivier Houg Lyon oct,2019
Flash back
Après avoir réalisé plusieurs résidences artistiques en milieu carcéral et avec des jeunes sous main de justice, mon travail s’est progressivement construit autour du thème de l’enfermement, et ce, pendant quatre ans.
En regard de cette expérience autant physique que psychologique, le temps était venu pour moi d’évoluer vers autre chose.
Prenant le contre-pied de mes grands formats noirs et blancs, mes nouveaux travaux m’ont permis de renouer avec une certaine liberté d’expression dans le propos comme dans la forme.
En juillet 2018, j’ai commencé à peindre à partir de photographies réalisées avec mon portable, ces photos anodines soi-disant souvenirs mais qui disparaissent au fur et à mesure du temps si elles ne sont pas classées, sauvegardées et archivées et qu’on ne regardera plus jamais.
À chaque période historique, la peinture s’est redéfinie par rapport à l’apparition de nouvelles techniques liées à la reproduction d’images : gravure, lithographie, photographie, image numérique...
J’ai toujours considéré que l’évolution stylistique de la peinture à travers les siècles était intimement liée à l’évolution des techniques ; de la peinture à l’huile à la Renaissance, aux instruments d’optiques (camera obscura, camera lucida, etc), de la perspective à la photographie, de l’invention du tube de peinture, tous ces facteurs influaient sur la façon d’appréhender le monde et de le représenter. Dès 1996 il m’a semblé alors qu’il en était de même avec l’informatique et qu’il m’ était indispensable de m’emparer de ces techniques numériques afin de procurer de nouveaux territoires à la peinture. J’utilisais à cette époque déjà des archivages, des sauvegardes d’images de webcam éphémère pour en faire des peintures
Instantanés
Il s’agit d’une installation de 150 peintures réalisées entre juillet 2018 et novembre 2019, de petits formats de 24 cm x 30 cm soit 15 pouces en référence à l’écran d’ordinateur le plus utilisé.
Ces peintures font références à ma vie, à ce que je vois ou ce que je vis et que j’ai photographié avec mon téléphone portable.
Ce sont des traces de résidences artistiques, de voyages, de promenades ou d’évènements qui m’ont marqués, Ce sont aussi des relations humaines, des moment insolites ou des moments de partage avec mes proches.
Par gain de temps et par efficacité, j’utilise mon portable comme un carnet de notes et de croquis. Ces « notes » sous forme d’images, sont stockées, archivées, triées sur mon ordinateur ou publiées sur les réseaux sociaux.
Puis en fonction de mon projet, je choisis l’image efficace qui deviendra peinture, c’est à dire l’image dont je serais capable d’interpréter le réel dans sa représentation. La peinture figurative possède une capacité à rendre visible quelque chose de réel, d’inaperçu, d’inexprimé.
Lorsque le choix est établi j’utilise un logiciel de dessin qui me permets de concevoir ma peinture sur l’écran et d’établir la composition, le contraste, et la forme. Puis vient la transposition de l’écran à la toile, là, mon travail devient de la pure peinture où la gestuelle, la forme, l’accident transforme l’image de départ en
objet pictural.
Chaque peinture est composée d’une succession de couches peintes à l’acrylique très diluées sur de petits format sur toile nous rappelant l’écran d’ordinateur. Juxtaposées elles matérialisent et reposent la question de l’archivage numérique comme si l’espace d’exposition était un dossier et le mur, une fenêtre ouverte sur les fichiers de ma vie.
Patrice Mortier, 2019